QUAND MONTREUIL ETAIT « GHQ »
Allocution du Dr Charles Goodson-Wickes, arrière-petit-fils de l’auteur le 11 novembre 2015
Bonjour mesdames et messieurs, c’est un honneur pour moi d’être au milieu d’un si grand nombre de personnes si distinguées.
Je suis ravi d’être de nouveau à Montreuil-sur-Mer, une si belle ville, réputée et pleine d’heureux souvenirs pour moi, suite à de nombreuses visites depuis des années.
Je suis reconnaissant à l’association MCM de l’invitation et en particulier à Bruno Béthouart et Siobhan Stevens, les moteurs de l’association, qui ensemble cherchent à faire reconnaître l’histoire relativement récente de la ville à travers le livre de mon arrière-grand-père, maintenant traduit en français pour la première fois.
Mes remerciements s’adressent aussi à Terence Hughes qui m’a fourni quelques photographies que vous voyez sur les panneaux ici.
Grâce à cette œuvre, non seulement des historiens mais aussi des touristes vont être incités à venir – pour découvrir cette ville historique qui a tellement à leur offrir.
Aujourd’hui c’est un jour très important. Il marque, pour moi, le début d’une série d’événements qui se termineront avec la commémoration de l’installation du GHQ, il y a cent ans, avec l’arrivée du général Haig en 1916. Aujourd’hui nous pouvons commémorer, d’une façon franco-britannique, les efforts communs pour lutter ensemble quand nos libertés communes ont été menacées par les forces du mal.
Le projet qui est l’objet de notre rencontre de cet après-midi, la réimpression de l’œuvre “GHQ” par “GSO” est d’une profonde importance personnelle pour moi. “GSO” est le nom de plume de Sir Frank Fox, mon arrière-grand-père, un nom de plume étant nécessaire car, selon la réglementation militaire, il était interdit pour des officiers en service d’écrire sous leur propre nom.
Il n’y a pas beaucoup de personnes qui ont le privilège de connaître leur arrière-grand-père, comme c’était le cas pour moi. J’avais 15 ans au moment de son décès. Je le connaissais bien. Je vous en parlerai plus tard et vous allez mieux comprendre pourquoi, pendant toute mon enfance, il était mon héros.
Mais revenons à notre projet. C’était en 2014, que mon collègue au Parlement, Lord Astor, confrère officier et ami, m’a écrit. Il a appris probablement par internet, pas par moi, que Frank Fox était mon arrière-grand-père. De son côté, lui, il est le petit-fils de Lord Haig. Malheureusement, Lord Astor ne peut pas être des nôtres aujourd’hui ; il est retenu ailleurs.
Lord Astor a déjà rencontré Bruno Béthouart ici et en Angleterre, pendant qu’il était maire de Montreuil, pour voir comment on peut commémorer le centenaire de l’arrivée ici du GHQ. Et, entre parenthèses, je garde toujours le grand espoir que la statue de Haig, installée sur la place du Théâtre, sera restaurée d’ici l’année prochaine.
L’implication de l’association MCM a rendu possible la publication en français, en même temps que la publication en anglais, de cet unique témoignage contemporain et qui est à la base de cet événement aujourd’hui.
MCM a assumé la grande tâche de traduire l’œuvre en français.
J’aimerais applaudir l’aide précieuse de mon fils Édouard qui a été responsable du design et de la mise en page de la version anglaise du livre – qui contient également des statistiques produites pour le roi Georges V et qui apparaissent dans une œuvre pour la première fois. En aparté, le livre anglais est publié avec le nom de Beaumont qui rappelle la petite quantité de sang français qui coule dans mes veines.
Mon fils a travaillé dans des conditions très difficiles et son aide est inestimable. Il a œuvré par amour car il est très fier de son aïeul. Je suis ravi qu’il ait pu venir de l’Amérique du sud pour être avec nous aujourd’hui.
Frank Fox était correspondant de guerre pour le Morning Post, un journal britannique renommé qui fait partie maintenant du Daily Telegraph.
Sa première expérience de combat était pendant les guerres dans les Balkans en Bulgarie, d’où il a été envoyé en Belgique en anticipation d’une attaque allemande.
Il a été attaché à l’armée belge juste avant le rejet de l’ultimatum allemand par le roi Albert 1er. Pendant six mois, d’août 1914 à décembre 1914, Fox a traversé et retraversé le pays, souvent à bicyclette pour éviter toute détection, et il a vu des atrocités subies par la population civile, entre autres : l’utilisation de boucliers humains, le ravage de non seulement le centre culturel de Louvain mais aussi de nombreuses églises et bâtiments historiques.
Il était tellement horrifié par tout cela que le grand désir de devenir un combattant est né en lui. Il est donc rentré en Angleterre où il est devenu officier dans l’armée britannique. Il avait 41 ans à l’époque, normalement trop vieux pour entrer dans l’armée. Il y a une forte chance qu’il ait menti au sujet de son âge.
Il a été envoyé dans la Somme où il fut deux fois blessé. Après la seconde fois il a noté dans son journal : j’étais dans une explosion devant Le Sars. J’ai refusé de mourir. Les brancardiers courageux m’ont sorti de là. J’ai passé l’année d’après à l’hôpital.
Malgré le fait qu’il a travaillé, pendant sa convalescence, pour MI7 (responsable pour la propagande) quand il a essayé principalement de plaider aux États-Unis en faveur de l’entrée en guerre, il se faisait de la bile pour retourner en France.
Grâce à ses contacts politiques et personnels, il a réussi. Et il est arrivé ici au GHQ comme officier de l’état-major dans le service du surintendant.
Il a dû représenter une drôle d’apparition – quelqu’un sur les béquilles, ayant perdu une grande partie de son pied droit, et son bras gauche atrophié en écharpe. Son surdité profonde n’a pas amélioré l’image.
Quelques officiers de l’état-major ont été critiqués parce qu’ils étaient des ‘guerriers du bureau’ – loin du front. Au moins lui, il était à l’abri de telles remarques. Et il semble que, selon lui, il y avait beaucoup d’officiers qui ont été joints suite à une blessure. Fox était heureux de pouvoir bénéficier de séances régulières de kinésithérapie à l’hôpital, dont il avait besoin.
Mais cela suffit pour lui pour l’instant. Qu’est-ce qu’il a écrit sur la vie ici à Montreuil entre 1916 et 1919 au moment où Montreuil était au centre d’une organisation extraordinaire de planification et de logistique qui a réussi à mener à la défaite finale de l’armée allemande ?
J’espère que vous allez lire, soit en anglais ou en français, un descriptif de cette organisation logistique.
Ceci étant, je vais quand même en parler un peu.
La ville de Montreuil a été choisie pour son rôle si important grâce à position stratégique entre les tranchées, Paris et Londres. Le GHQ est arrivé de Saint-Omer en mars 1916. L’armée expéditionnaire britannique avec son commandant en chef pouvait communiquer facilement avec le secrétaire d’État à la guerre et le gouvernement à Londres.
Fox décrit la situation géographique comme ‘un éloignement central’.
Il y avait une population militaire de 5000 personnes y compris 300 officiers réguliers, en plus il y avait des officiers temporaires – appelés, d’une façon irrévérencieuse par quelques-uns, des ‘Gentlemen temporaires’.
Selon Fox, la vie était fantastique, monacale (sans aucune relation avec les femmes), sobre, disciplinée et passionnante. Les officiers ont travaillé en général de 9h jusqu’à 22h30 même les week-ends. Une permission était accordée tous les 6 mois.
C’est curieux qu’il ait utilisé l’adjectif ‘passionnant’. D’autant plus qu’il décrit la vie dans les tranchées comme ‘ennuyeuse – avec des moments rares d’excitation et d’horreur’.
Fox précise que cette description est en contraste avec ‘les témoignages atroces des écrivains qui ont trop de fantaisie.’ Il critique aussi les membres du parlement britannique qui considéraient une visite à Montreuil comme un séjour touristique comme si c’était organisé par l’agence de voyages très connue, Thomas Cook.
Le général Travers Clark, le surintendant pour qui Fox travaillait, a souligné que le travail du GQG était étroitement lié à la vie dans les tranchées.
Cinq divisions britanniques ont été déployées – chacune avec 20.000 hommes – de manière plus grande que la normale. Mais il y a peut-être une statistique plus importante – pour chaque fusilier ou artilleur sur le front, il y avait trois hommes derrière le front qui s’occupaient de son approvisionnement.
J’ai dit ‘britannique’. Mais n’oublions pas que ces hommes venaient des quatre coins de l’Empire britannique – ne parlons même pas des soldats dont on peut facilement oublier l’importance, à savoir : les Français, les Belges, les Américains et les Portugais. C’était un quartier général vraiment international.
Le commandant en chef habitait un château pas loin de Montreuil et le GHQ se trouvait dans l’école militaire. Le club des officiers n’était pas loin à pied, le long des remparts.
Il y a aussi une référence à la résidence du maréchal Ney, pas loin de la place verte (utilisé par Napoléon pour préparer l’invasion d’Angleterre). L’Hôtel de France a servi comme alternative pour le club des officiers. Fox était cantonné avec Monsieur Laurent et son épouse qui était professeur de français. (Vu mes capacités en français j’aurais bien pu profiter de prendre des cours avec elle.) Je me demande s’il reste encore des membres de cette famille à Montreuil? Peut-être quelqu’un parmi vous le saurait?
Alors, quelles étaient les fonctions principales du GHQ ? C’était :
– le lien entre l’armée sur le terrain et les leaders politiques des Alliés
– l’endroit où la stratégie du secteur britannique a été décidé
– l’organe qui a organisé la fourniture de tout : les habits, l’alimentation, les munitions et la paie, le transport ( par voie routière pour les chevaux et les voitures, par voie ferrée, et sur l’eau) ; l’agriculture, et les supports médicaux, vétérinaires et ecclésiastiques – tout ce qui était nécessaire pour maintenir le moral. (Néanmoins, il faut admettre que les officiers au GHQ n’allaient pas souvent à l’église par rapport à Haig qui était fort religieux.)
Les officiers pouvaient occasionnellement aller au théâtre ou jouer au cricket, au football, ou faire de la natation ou de l’équitation, un passe-temps particulièrement aimé par Fox. En fait, il s’intéressait beaucoup au bien-être des chevaux au front.
Malgré le fait que les soldats britanniques ont été appelés “des lions dans les tranchées”, dans les villages ils se comportaient “comme des agneaux”. Les rapports entre l’armée et la population civile étaient importants – vu que le pays était quand même occupé par des armées amicales. Une telle occupation nécessitait l’accord de la population civile et leur coopération, ce qui était compliqué encore par le flot de réfugiés.
Dans le livre on reçoit aussi des informations sur l’importance des auxiliaires – un tiers d’un million d’hommes.
Les civils français (les vieux et les handicapés) ont fourni un travail magnifique. Du travail d’ordre physique était accompli par les auxiliaires venant de l’Inde, des Caraïbes, de la Chine, des îles Fidji, de l’Afrique du Sud et de l’Égypte – avec un complément de prisonniers de guerre allemands.
Je n’entrerai pas en détail sur les hauts et les bas de la campagne – vous pouvez vous en informer vous-mêmes.
La réputation de Haig est devenue un sujet de contentieux. Malgré des critiques dans la presse ou dans les milieux politiques, cette œuvre, écrite à l’époque, affirme :
– sa fidélité vis-à-vis de ses amis,
– sa perspicacité par rapport aux choix du personnel,
– ses convictions religieuses,
– sa grande confiance dans les personnes qui l’entouraient,
– sa promotion éclairée de l’éducation pour les soldats qui, après des expériences, extraordinaires et exceptionnelles au champ de bataille, devaient retourner à une vie civile.
Le livre se termine avec la nomination du maréchal Foch comme commandant en chef des armées alliées, un événement qui a reçu l’approbation sincère des généraux britanniques et américains – Haig et Pershing.
Avec sa nomination, la souffrance et le courage des Français ont été reconnus sur le plan international. La fin glorieuse de la guerre est un point convenable pour terminer mon discours.
Merci de votre présence.